Et selon les gouvernements, les dictatures, les tyrannies, les souverains en poste, ces représentations morbides ont connu plus ou moins de fréquence. On n'a qu'à songer aux listes d'exécutions de la Révolution pour frissonner du nombre d'innocents auxquels l'on a tranché la tête, on n'a qu'à se remémorer les excès des bûchers de la Sainte Inquisition pour pleurer tous ces pauvres gens brûlés vifs sous les cris de hargne jouissive de badauds malsains. La peine de mort, qu'elle fût justifiée ou non, a toujours porté la liesse dans les âmes les plus noires.
Jusqu'à l'époque des humanistes du Siècle des Lumières, on ne remet pas véritablement en cause la pertinence de la condamnation à mort, ni même les tortures qui en général la précèdent. C'est surtout grâce à un essai (Des délits et des peines, 1764) du jeune juriste milanais Cesare Beccaria (1738-1794) ainsi qu'aux nombreuses sorties de philosophes tels que Voltaire (1694-1778) et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) que le discours sur la peine de mort a pu déboucher sur un débat public. Ces penseurs dénoncent alors la désuétude du Code pénal, démontrent la barbarie inutile des tortures qu'on inflige aux condamnés et insistent sur la nécessité de prévenir le crime plutôt que d'avoir à le punir. Ils incitent à la réflexion sur le sujet de la peine capitale, réflexion qui jusque-là n'avait fait l'objet d'aucun sursaut d'humanité. Beccaria sera d'ailleurs le premier juriste à poser la peine capitale comme un crime judiciaire et soulèvera ainsi l'aberration qu'est de punir un crime par un autre crime.
La Corse (en 1755) puis la Toscane (1786) sont les premières nations à abolir la peine de mort. Les efforts de Beccaria n'auront pas été vains. Toutefois, en France, malgré ces avancées humanitaires, il faudra attendre encore presque deux siècles pour que la loi finisse par interdire cette pratique dépassée. Dès le début du 19e siècle, ce sont les artistes romantiques et les républicains qui passent à l'attaque dans le long combat abolitionniste. Victor Hugo (1802-1885), Alfred de Lamartine (1790-1869) ainsi que Victor Schoelcher (1804-1893) multiplient les pamphlets et les écrits appelant à une France civilisée et humaniste. Ils font si bien que les républicains du Second Empire préconisent dans leur programme une abolition complète de la peine de mort. Hélas, la mise en application de cette prescription ne se fait pas. Personne n'ose bouger, le régime républicain est encore trop neuf pour imposer ses idées et les bourreaux continuent d'exécuter.