Jusqu'aux premières réflexions d'Henri Dunant (1828-1910) à propos des blessés de la bataille de Solférino et de son implication humanitaire, on ne saurait affirmer que des instances organisées et compétentes aient pu prendre en considération que des peuples entiers vivaient dans la nécessité la plus criante ou tentaient de survivre à un conflit les plongeant dans un cas d'extrême fragilité. C'est plutôt la guerre et ses atrocités qui ont convaincu l'homme civilisé du bien-fondé d'une aide à grande échelle dans des contextes spécifiques.
C'est donc sur les champs de bataille, en pleine guerre, que la notion de l'humanitaire atteint sa pleine maturité dans l'esprit collectif. En ménageant des espaces neutres pour soigner les blessés lors de conflits guerriers, espaces protégés de part et d'autre par des conventions agrées, les nations ennemies acceptent de restituer aux soldats blessés un caractère humain. Ils ne sont plus de la chair à canon, ils sont aussi des hommes. Le principe sera appliqué plus tard aux citoyens ordinaires, piégés dans ces conflits. La notion de civil prendra alors une importance capitale et la population civile deviendra le principal bénéficiaire de l'aide humanitaire.
C'est la fondation de la Croix-Rouge (1863) par Dunant qui pose les véritables bases d'une vision humanitaire internationale. La première convention de 1863 vise à protéger les blessés de guerre. L'organisation se nomme à cette époque : Société de Secours aux Blessés Militaires. Plus tard, fusionnant avec deux autres organisations de secours : l'Association des Dames Françaises et l'Union des Femmes de France, la société de Dunant devient officiellement la Croix-Rouge. Puis, en 1899 une seconde convention vient ajouter la protection des marins aux ententes entre nations. Vingt ans plus tard, on assiste à la création de la Fédération de la Croix-Rouge française et du Croissant-Rouge. Ils deviennent rapidement les organismes d'intervention officielle lors des catastrophes de grande envergure. En 1929, une troisième convention est résolue afin de protéger les prisonniers de guerre. Enfin, en 1949, la quatrième convention inclut la protection des civils et de leurs biens en cas de guerre ou de conflit armé. De plus, on révise les conventions précédentes, ce qui donne au final les Quatre Conventions de Genève de 1949. Ces conventions de droit international humanitaire achèvent d'ériger la structure d'une conscience collective de l'action humanitaire.
Parce que la Croix-Rouge a en quelque sorte lancé l'idée, d'autres associations humanitaires naissent alors, principalement dans les pays anglo-saxons. Les organismes : Save The Children (1919), International Rescue Committee (1933), Oxfam (1942), CARE International (1945), etc. Afin de maintenir la paix dans le monde et de faire respecter les Conventions de Genève, l'Organisation des Nations unies voit le jour en 1945, suivie deux ans plus tard d'une variante destinée à secourir les enfants, l'UNICEF. En 1951, c'est le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés qui naît et qui s'activera considérablement dans les années 1980 avec le nombre croissant de réfugiés à travers le monde.
Commanditées soit par des ordres religieux, soit par des États, les sociétés de secours humanitaire ont pour objectif de venir en aide aux plus démunis. On soupçonne toutefois que ces interventions servent souvent de véhicule propagandiste au profit de l'organisme secourable, notamment dans le cas d'idéologie religieuse ou politique. Mais cette propagande demeure généralement tacite entre secouristes et secourus. Tous les organismes d'aide humanitaire, jusqu'à la crise du Biafra en 1969, observent le silence et la neutralité dans les conflits. Il s'agit surtout d'intervenir rapidement et de fournir temporairement les nécessités pour assurer la survie de réfugiés. Aucune prise de position de la part des bénévoles en mission ne filtre jamais publiquement. Toutefois, lors de cette crise du Biafra, les médecins français, hantés déjà par le mutisme coupable ayant couvert Auschwitz et les camps nazis, choisissent de briser la tradition et passent à la dénonciation. Cette prise de parole qui semblent révéler une vérité cachée par des instances politiques vicieuses, ne sera toutefois pas saluée par tous les analystes et observateurs comme étant positive. Au contraire, la parole désormais prise par les humanitaires entame à leur encontre un processus critique souvent étonnant mais parfois très pertinent.
Ce que l'ont en dit aujourd'hui c'est que les missionnaires humanitaires, malgré leur volonté de changer la situation d'un pays et d'arracher le plus de victimes aux affres de conditions de vie souvent inhumaines, faussent la nature du conflit politique en focalisant l'attention du monde sur les victimes uniquement. Autre conséquence du discours humanitaire : en voulant créer des organismes indépendants des États, les initiateurs de mouvements humanitaires, comme Médecins Sans Frontières (1971) par exemple, s'appuient désormais sur l'opinion publique pour obtenir subvention et visibilité. Forcément, dans cette nouvelle perspective, les secours humanitaires multiplient les coups d'éclat, profitant au passage d'une médiatisation excessive qui ne demande qu'à en faire ses choux gras. Aussi, on finit par s'interroger. Quels sont les véritables enjeux des organisations humanitaires, quelle est leur réelle volonté d'implication dans cette course au sauvetage sensationnel ?