Plusieurs observateurs voient dans l'actuelle action humanitaire un prolongement du colonialisme. L'hypothèse vaut la réflexion. Par exemple, l'aide humanitaire fournie par les pays de l'Ouest à l'URSS lors de la famine de 1921, les Occidentaux se taxant de générosité, exhibant ainsi la supériorité du modèle capitaliste sur les prétentions du régime communiste, avec les conséquences que l'on sait, c'est-à-dire l'écrasement de la paysannerie et la mise sous coupe réglée de l'agriculture.
Un autre son de cloche : quand l'aide humanitaire favorise l'oppresseur. Les secours alimentaires acheminés vers les camps de réfugiés cambodgiens à l'époque des Khmers Rouges auront permis à ces derniers d'en profiter largement et de se remettre sur pied. Dans ces conditions, on peut s'interroger sur la pertinence de l'action ? La prolongation des conflits est-elle favorisée par les secours humanitaires ?
À un autre niveau, l'aide humanitaire sert aussi de levier de négociations pour certains pays bien nantis à l'endroit de pays plus pauvres. Les embargos économiques, lesquels plongent des nations entières dans la famine, sont devenus des instruments politiques dont les grandes victimes sont encore (et toujours) la population civile.
Les images insoutenables d'enfants affamés, de vieillards souffrants, d'individus handicapés par la violence des combats, les viols, etc., nous bouleversent et font appel à notre empathie naturelle. La seule idée de laisser les victimes se débrouiller sans réagir nous semble inhumaine, atroce. Or le fait de savoir qu'il existe des volontaires pour leur porter secours apaise notre conscience. Mais ces interventions, selon de nombreux spécialistes de la question, devraient se limiter à des actions brèves et efficaces. Personnel infirmier, médicaments, équipes de sauvetage, denrées non périssables, matériaux destinés à la construction de refuges provisoires, etc. Toute structure organisationnelle ultérieure devrait relever de la volonté de la nation à s'extirper du conflit pour construire une société viable, en conformité avec ses valeurs et son potentiel de richesses naturelles. Mais ça, ce serait dans un monde idéal !
Heureusement, certains organismes humanitaires comprennent bien la nécessité de prôner l'autonomie auprès des bénéficiaires de l'aide humanitaire. Ils mettent en place des programmes de stratégie de survie et de développement agricole pour permettre aux victimes une prise en charge indépendante et réactive. Pour éviter qu'elles soient traitées en victimes passives, les populations qui reçoivent l'aide extérieure apprennent aussi à gérer leur propre sécurité tout en s'assurant d'une production alimentaire capable de fournir à leur survie. En ce sens, si les différents intervenants extérieurs dans le domaine de l'aide humanitaire favorisent cette prise en charge, il y a fort à parier que les peuples otages de situations conflictuelles à travers le monde s'en sortiront beaucoup mieux que sous une tutelle infantilisante.
Selon l'adage chinois, donner un poisson à un homme ne le nourrira qu'un jour, lui apprendre à pêcher le nourrira toujours. Et si cet adage servait de fondement aux futures interventions humanitaires…