Édith Piaf (1915-1963), monstre sacré de la chanson française, jouera également un rôle important sous l'Occupation. À l'époque, Piaf continue de donner des spectacles auxquels assistent les Allemands mais les textes de ses chansons restent à double sens, exaltant la résistance française, allant même jusqu'à la faire incarner par un amant dans la pièce "Tu es partout" (1943). Une autre chanteuse fera les délices du Music Hall sous l'Occupation : Léo Marjane (1912-). Dénonçant la solitude des épouses dont les maris sont prisonniers en Allemagne, elle chante "Je suis seule ce soir" (1942). Toutefois, son succès sera de courte durée puisqu'à la Libération, on l'accusera d'avoir chanté pour les Nazis.
Le Music Hall, parallèlement à la radio, reste le lieu privilégié de l'expression idéologique française. Même sous la censure, le texte de la chanson française dénonce, appelle au front commun, panse les blessures, réconforte, fait même un bras d'honneur à l'occupant qui l'écoute. Les plus grands noms de la chanson française s'y produisent avec la verve et l'arrogance naturelles que l'on connaît aux descendants des Gaulois : Bourvil (1917-1970), Suzy Solidor (1900-1983), Annette Lajon (1901-1984), Lucienne Boyer (1901-1983), Charpini (1901-1987), Fernandel (1903-1971), Tino Rossi (1907-1983), André Dassary (1912-1987), Georges Guétary (1915-1997), Georgette Plana (1917-), Yves Montand (1921-1991) et de nombreux autres dans les édifices les plus célèbres de Paris : l'A.B.C., l'Alhambra, le Bobino, l'Olympia, etc.
Les Allemands, dans un souci d'éviter les soulèvements populaires et d'acquérir une sorte de tolérance à leur égard en ménageant un simulacre de retour à la vie normale, permettent alors aux Français de participer à la vie culturelle, incitant les artistes français à la création en leur fournissant les moyens nécessaires à leur épanouissement. Par ailleurs, la période concorde également avec l'essor de l'industrie du disque et du cinéma, ce qui permet à la chanson une diffusion à l'échelle mondiale. Les messages ne sont plus confinés à leur seul pays d'origine ; désormais, c'est la planète entière qui peut entendre l'appel au secours des Français.
Grâce à ces nouveaux médias, les artistes français deviennent aussi des icônes vénérées dans une opinion publique qui tend à se faire mondiale. L'occupant allemand tient compte de ce phénomène. Sa position à leur endroit ne peut plus être radicale. Une liberté (qu'il croit contrôlée) est désormais acquise et des artistes audacieux tels que Joséphine Baker sauront en profiter.
Devenant agent du contre-espionnage dans les services secrets de France Libre dès 1940, Baker chante pour les soldats, pour les Allemands aussi, mais utilise subtilement ses partitions musicales pour transmettre des messages contre l'ennemi. Elle acquiert une telle réputation que même Hermann Goering (1893-1946) n'osera l'arrêter, préférant l'inviter à un dîner-spectacle où l'on envisage de l'empoisonner.
Heureusement, Joséphine Baker ne sera pas victime du poison et à la Libération, elle recevra successivement la Croix de guerre, la Médaille de la Résistance et plus tard la Légion d'honneur des mains même du Général de Gaulle (1890-1970).
Pendant cinq interminables années, la France survit à l'envahisseur et espère grâce à l'entité invisible qu'est la Résistance. Or malgré qu'elle porte aussi le message propagandiste de l'ennemi, on retient surtout que la chanson française de l'époque est le héraut de cette Résistance… La chanson française n'aura certes pas gagné la guerre, mais son action prodigieuse, son effet catalyseur, son pouvoir rassembleur auront sans le moindre doute supporté le moral de tous les infortunés Français opposés à la collaboration et leur aura donné la fierté de résister ensemble…