Seules les familles de marins acceptaient de vivre dans sa proximité, habituées à ses caprices, à sa fureur, à sa beauté, à sa cruauté aussi lorsqu'elle engloutissait l'un des leurs. Pour les citadins ou les paysans, l'idée de fréquenter la mer comportait autant de risques périlleux pour la vie que d'appréhension concernant son aspect insalubre. On percevait la mer avec dégoût, comme si elle n'était capable que de couvrir les rivages de mollusques grouillants et d'algues visqueuses.
On l'imaginait aussi peuplée de monstres marins, les légendes de Moby Dick ou de créatures terribles comme le célèbre monstre du Loch Ness tenaient les touristes bien loin de ses grèves. Sans compter que la mer, depuis l'Antiquité déjà, déversait depuis des millénaires sur les rives de petits villages paisibles des hordes d'envahisseurs ou de pillards cruels. Qui eut donc été assez téméraire pour amener toute sa petite famille sur la plage dans des conditions aussi redoutables ?
Ce sont les Britanniques au 18e siècle qui, contre toute attente, décidèrent de mater cette phobie de la mer en l'apprivoisant par le biais des stations balnéaires. Motivés par les prescriptions de médecins téméraires qui les poussèrent sur les rives de certains grands cours d'eau pour combattre une foule de petits et grands maux, les nobles et les bourgeois commencèrent à affluer vers la mer pour se curer. Évidemment, il devint fort à la mode de fréquenter les bords de mer pour guérir ou simplement se vivifier, le temps d'un été.
Les aristocrates français emboîtèrent le pas vers 1790 à Boulogne. Puis, en 1820, Dieppe fut l'une des premières destinations à être fréquentées ponctuellement. Toute une culture de l'hygiène se tissa alors autour de la pratique des bains de mer. Air marin, eau glacée et enveloppement d'algues constituèrent désormais l'approche thérapeutique la plus favorable au rétablissement des natures plus fragiles.
L'avènement du chemin de fer comme moyen de relais entre les villes populeuses et les côtes facilita ensuite l'engouement pour la mer. Les déplacements en train rendirent accessible la mer à un nombre croissant de touristes et vacanciers aux revenus modestes. De plus en plus de familles se mirent à peupler les côtes françaises et britanniques ; bientôt la plupart des pays européens jouissant de littoraux aménageables tentèrent l'expérience des vacances à la plage.
En France, c'est une forme de snobisme qui poussa d'abord les gens à prendre la route menant aux océans. On y allait pour l'ambiance des casinos, des stades hippiques, des courts de tennis que les promoteurs ne manquaient pas de construire autour et qui témoignaient de l'aisance matérielle de leurs usagers. De superbes villas s'érigeaient pour accueillir des locataires fortunés ou des propriétaires intrépides. On s'y promenait sur la plage, planqué sous des ombrelles de circonstance et l'on n'entrait dans l'eau que drapé d'un maillot qui enveloppait le corps presque entièrement. La mer inquiétait toujours…