Redoutable et puissant, longtemps indétectable aux sciences primitives, le poison, souvent soupçonné, mais presque toujours impossible à identifier dans le passé, règle de nombreux conflits successoraux ou achève de nombreux ennemis.
Découvert d'abord par les premiers hominidés au temps de la Préhistoire, le poison sert aux chasseurs surtout, afin d'augmenter leur chance de tuer des proies beaucoup plus grandes et beaucoup plus grosses qu'eux. Comme en témoignent les rainures retrouvées sur des armes datant de cette époque, le poison est introduit dans des fentes pour ensuite pénétrer dans le corps de la victime au moment de l'impact avec l'arme. Ces substances nocives, notamment la tubocurarine, permettent aux chasseurs d'augmenter leur efficacité en assurant la paralysie à court terme dans les cas où la force de l'arme n'aurait pas été suffisante pour terrasser la proie.
Généralement, les composantes du poison sont un secret bien gardé. Connues des druides, des chamans, des sorciers ou des sages de clans et de tribus, les propriétés nocives attribuées à certaines substances ou éléments naturels alimentent aussi le mythe de pouvoir associé à ces figures dominantes du clan ou de la tribu. On croit, par conséquent, que la découverte des poisons aurait contribué à l'affirmation des figures d'autorité à la tête des clans et tribus. Le principe de tout-puissants sorciers capables de foudroyer la vie des membres de la tribu à sans doute été précurseur des grands prêtres des civilisations plus évoluées ensuite.
Chez les Égyptiens, le poison n'est mentionné que vers 300 av. J.-C. Il semble que dès cette époque, certaines substances toxiques soient déjà identifiées, notamment l'antimoine, l'arsenic pur, le cuivre, la mandragore, l'opium, l'orpiment, le plomb, le réalgar, le trioxyde d'arsenic… La reine Cléopâtre (v.69 - 30 av. J.-C.) elle-même a recours à la morsure de l'aspic pour se donner la mort en apprenant le décès de Marc-Antoine (83 - 30 av. J.-C.), et non sans avoir préalablement fait moult expériences sur des condamnés à mort, histoire de tester l'efficacité des substances les moins douloureuses. Ainsi, belladone, hyoscyamus niger et noix vomique (strychnine) sont également connus dans l'apothicairerie égyptienne antique.
La Grèce a aussi ses armes secrètes. La ciguë, entre autres, devenue presque familière dans le paysage domestique grec alors qu'elle fait partie des mœurs de certaines régions, à Céos par exemple, où l'on invite les vieux, désormais inutiles à la patrie, à boire le breuvage qui les mènera dans l'au-delà puisque leur heure est venue. Elle est également utilisée à des fins de règlements juridiques : certains condamnés se voient remettre la coupe mortelle, comme cet infortuné Socrate (470-399 av. J.-C.). Mais la société grecque, profondément misogyne, porte sur le poison un nouveau regard : il devient une affaire de femmes. Placé sous le sceau de la négativité et de la lâcheté, le poison, destiné à donner la mort, ne peut vraisemblablement qu'être de nature féminine. Et la mythologie, regorgeant de magiciennes diaboliques telles Hécate, Circé, Médée, etc., alimente ce constat et instaure le préjugé pour des siècles à venir. Dorénavant, on fera moins de cas des empoisonneurs et l'on réservera de nombreuses chroniques aux empoisonneuses de toutes les époques : Agrippine la jeune (15-59), Hélène Jégado (1803-1852), Vera Renczi (1903-?), etc.
La civilisation romaine élève aux sommets la science de l'empoisonnement. Le poison prend dès lors des allures de régulateur politique ou conjugal. Chez les Romains, on s'assassine allègrement pour succéder aux postes d'importance ou pour se débarrasser d'un mari insupportable. Qu'il s'agisse simplement de l'époux encombrant, d'un siège au sénat, du commandement des légions ou du trône de l'empire carrément, les ambitieux ne reculent devant aucune potion mortelle. Cyanure, herbes magiques ou champignons vénéneux sont à la base des plus puissants poisons de l'époque romaine. L'empereur Claude (10-54) y a succombé, Britannicus (41-55) aussi, et de nombreux autres membres influents de l'Empire romain. La mode du poison est si vive que chaque personnage important dispose d'un goûteur pour échapper, au moins, à l'empoisonnement alimentaire. Comme en Grèce, c'est aux femmes que sont généralement imputés les crimes de cette nature. La plus célèbre des empoisonneuses romaines est Locuste (?-68 apr. J.-C.) que Néron (37-68) protège et récompense pour avoir éliminé Claude et Britannicus. Suétone (v. 69 - 130) affirme même : "Quant à Locuste, pour prix de ses services, il (Néron) lui donna l'impunité, de vastes domaines, et même des élèves. " Le métier d'empoisonneuse jouit alors d'une certaine crédibilité auprès des puissants…
L'Europe du Moyen-Âge connaît également sa part de déboires avec les poisons de tout acabit. Mais les motifs d'empoisonnements se diversifient. Bien sûr, on cherche encore à assassiner certaines personnes influentes, soit pour s'en débarrasser, soit pour hériter de leurs biens, soit pour leur succéder. Mais l'élimination de bestioles ravageuses s'ajoute à la liste des justifications motivant l'utilisation de poisons. On peut donc s'en procurer plus facilement. Ici encore, herboristes et sorcières sont pointés du doigt dans leur fabrication.