Décidément, seules les filles pauvres, les paysannes, peuvent encore goûter le luxe d'un mariage d'amour. Mais encore faut-il qu'elles n'aient pas été saccagées par quelque maître libidineux, ce qui les auraient forcé ensuite à épouser le premier qui eût passé l'éponge sur cette condition de fille déflorée.
Souvent, elles épousent un garçon qui leur plaît et évoluent dans un milieu rural simple et naturel, loin des ambitions et des complots urbains. Ces unions, plus proches des rituels païens que des échanges commerciaux intéressés, baignent les campagnes d'une atmosphère sereine.
Pour les autres filles et femmes que l'on marie sans leur consentement, deux espoirs subsistent : le veuvage et le divorce. Alors que mariée la femme est condamnée à une incapacité juridique et qu'elle reste subordonnée à son époux, le veuvage lui rend des droits et des privilèges qu'elle n'oserait pas même espérer.
La veuve, splendide et enfin maîtresse de sa personne aussi bien que de ses possessions matérielles, acquiert enfin un statut juridique et une indépendance financière. Évidemment, il faut qu'elle ait du bien pour jouir de ce confort et de cette autonomie.
Pour les plus pauvres, le veuvage peut avoir, au contraire, des conséquences dramatiques et les mener à la rue ou encore à la prostitution.
La possibilité de divorcer s'inscrit, quant à elle, dans la législation française à partir de 1792. Réfuté en 1816 à cause d'un impact considérable à l'époque (un mariage sur trois est dissout), le droit de divorcer est rétabli en 1884. L'année suivante, environ 4 000 couples divorcent ; en 1939 ce chiffre grimpe à 27 000.
Fondé sur la faute de l'un ou l'autre époux (principalement l'adultère), le divorce est alors prononcé en faveur de la victime du bris de contrat et peut l'avantager en dommages-intérêts.
Ce que les statistiques ne mentionnent pas toutefois c'est le nombre de demandeurs versus le nombre de demanderesses ; auquel des deux sexes profite davantage la dissolution du mariage…
Et le mariage d'amour alors ? Le mariage d'amour étendue à la masse est une invention de l'époque moderne.
Sans doute promu par ces histoires romantiques défiant toutes conventions sociales comme celle de La Dame aux Camélias (1848) d'Alexandre Dumas fils (1824-1895), ensuite exalté par un cinéma américain qui stimule le passage à l'acte pour des générations d'amoureux en rupture avec les traditions religieuses, le mariage devient progressivement la grande affaire de deux personnes qui s'aiment profondément et non plus la vile tractation entre deux familles ambitieuses.
Mais attention, cette libéralisation de l'institution maritale s'applique à l'Occident, essentiellement.
Alors que la femme occidentale a réussi au fil des siècles à échapper au joug marital, un grand nombre de femmes asiatiques, africaines, latines, etc., vivent toujours sous la tutelle de mariages arrangés.
Toujours propriétés de père, de frère ou d'oncle de leur famille, elles acceptent docilement l'union qu'on leur propose afin de sauver leur vie.
Dans certaines régions du Pakistan et d'Inde, les jeunes filles qui refusent un mariage forcé sont défigurées à l'acide. Dans certains pays de confession musulmane, d'autres jeunes filles qui tentent de se soustraire à un mariage décidé sont tout simplement assassinées par des membres de leur propre famille ; on appelle cela un crime d'honneur.
Et la liberté de choisir ?
On ne peut aborder la question du mariage sans tenir compte du statut de la femme dans les différentes régions du monde. La liberté de choisir ou non de se marier dépend directement des droits accordés par ce statut. Le mariage occidental, devenu laïc en quelque sorte, offre une plus grande souplesse morale.
De plus, le statut des femmes en Occident leur permettant désormais de travailler, et ainsi de subvenir seules à leurs besoins, soustrait les potentielles épouses à une obligation de mariage. Il est consternant de réaliser que le mariage d'amour, volontaire et assumé, reste par conséquent un luxe réservé à une minorité de femmes à travers le monde.
Le mariage alors, rêve ou prison ?
Pour des milliers de petites filles, le mariage signifie encore ce grand jour merveilleux, ce rêve de la robe de princesse, dans un sanctuaire rempli de fleurs et de parfums exquis, réunissant des dizaines de témoins heureux vêtus de leurs plus beaux habits…
Mais pour les plus sceptiques, les plus cyniques et autres lucides, le mariage est une institution poussiéreuse, débordant d'hypocrisie et de symboles dépassés qui mène, dans presque la moitié des cas, à quelque divorce cinglant.
Pour ces insoumis, l'amour c'est un mariage du cœur, loin de l'exhibition traditionnelle, une cérémonie intime qui lie à jamais deux âmes sœurs sans les contraindre à des serments éculés. Or sous ces considérations, l'on pourrait croire que l'avenir du mariage est compromis au sein de nos sociétés occidentales. Et pourtant non !
Depuis quelques années, il connaît un renouveau, une étincelle assez vive pour rallumer le grand feu et lancer la mode dans les communautés homosexuelles. Ce qui prouve bien qu'il reste une valeur à laquelle l'on croit, une institution à laquelle on tient mordicus, même chez ceux que l'on taxe de marginalité…
Alors, vive les mariés !