L'homme, l'animal et le végétal, matières organiques évoluant sur une entité organique gigantesque, se nourrissaient les uns des autres. Puis cet homme, doté d'une intelligence supérieure ainsi que d'aptitudes psychomotrices exceptionnelles se met à exploiter son environnement. Pourtant, pendant de nombreux millénaires, cette exploitation ne cause pas réellement de dommages. Mais peu à peu, devant l'usage de matériaux transformés et d'alliages faits de composants chimiques, devant également l'explosion d'une consommation immodérée, l'habitant des cités civilisées se débarrasse d'objets de moins en moins organiques. Ainsi naissent les premiers acteurs du règne des déchets !
C'est dans l'Antiquité que le phénomène des immondices prend une importance telle que des mesures s'imposent. On invente alors les latrines, les égouts et les décharges en des lieux isolés. Athènes ou Rome chargent des esclaves de l'éloignement des détritus, ces derniers les abandonnant loin de la cité. Certains archéologues ont fait la découverte de décharges, enfouies sous la terre aujourd'hui, décharges dans lesquelles on a retrouvé des objets domestiques comme des amphores, des débris de poterie, des objets personnels brisés, etc. Mais comme le citadin consomme peu, il jette peu.
Les milieux ruraux, étant encore plus pauvres, ne jettent pas. Tout acquis subissant une altération est immédiatement réparé ou réutilisé à des usages secondaires. Les déchets, par conséquent, sont surtout organiques : déjections humaines et animales, carcasses d'animaux, partie de végétaux non comestibles, etc. Certaines villes entassent toutes ces matières dans des fosses spécialement aménagées à cette fonction et se livrent au compostage, à l'exemple des habitants de la campagne. D'autres cités acheminent plutôt leurs ordures vers des cours d'eau, préférant déjà la facilité à une prise en charge responsable du problème des déchets.
Ce sont donc les villes, principalement, qui se trouvent à l'origine des plus grandes productions d'immondices. Parfois, le nombre de leurs habitants, même au Moyen-Âge, peut atteindre plus d'un million. C'est donc une population considérable qui se désiste de matières de toute sorte, allant au plus court en balançant dans les rigoles des rues le contenu de leur seau rempli de déchets. Au Moyen-Âge, ces rues sont en terre battue, souvent boueuses à cause des pluies fréquentes, boue mêlée du sang des abattoirs aussi bien que d'urine et de fèces. On comprend mieux pourquoi la noblesse du temps refuse de se déplacer dans les rues autrement qu'à cheval ou en fiacre. De plus, les odeurs sont pestilentielles, les bactéries ainsi exposées à l'air et entretenues par une proximité favorable se développent allègrement et provoquent des épidémies meurtrières. En 1184, soucieux d'apporter à son royaume une conscience sanitaire et de réduire les risques de maladies, le roi Philippe II Auguste (1165-1223) ordonne comme mesure d'hygiène de paver les rues de Paris, en plus d'aménager des canaux ainsi qu'un fossé central pour l'écoulement des eaux destinées au lavage des rues. De la sorte, les immondices ne devraient plus se trouver sur la voie publique et le sol devrait rester au sec. Mais ce travail de pavage mettra des siècles à s'achever. La France reste encore loin d'un idéal de salubrité !
Plus tard, on interdit aux citoyens de jeter leurs déchets par les fenêtres et on les oblige à nettoyer devant leur porte au moins une fois par semaine. Une volonté d'assainissement commence à s'installer, mais les mœurs de l'époque demeurent assez rustres, les gens n'ont que faire de la propreté. Charles V arrive au pouvoir et décrète l'interdiction de jeter des immondices dans la Seine. Pour favoriser le respect de cette nouvelle mesure, il fait creuser des fosses destinées à recueillir les détritus et les fait sceller de couvercle pour minimiser les odeurs. Une fois encore, une bonne partie de la population reste sourde à cet acte de bon sens et la Seine continue de charrier des ordures en quantité, ce qui contribuera largement à des fléaux comme la Peste noire (14e siècle), entraînant la mort de millions d'individus en Europe.
Au 16e siècle, ce sont les médecins qui obtiennent par ordonnance que l'on munisse chaque maison d'une fosse à déchets. La cohabitation avec les cochons, les volailles, les lapins est également interdite vers 1531. Mais c'est enfin sous Louis XIV (1638-1715), qui ne supporte pas que Paris ait la réputation de "ville la plus sale d'Europe", que le ministre Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) oblige drastiquement les citoyens à respecter les décrets concernant le traitement des ordures et que l'on applique des sanctions sévères pour punir les contrevenants. Paris commence enfin à se soumettre. Des tombereaux, tirés par des chevaux, passent pour récupérer les ordures régulièrement et les citoyens doivent y déposer leurs immondices. Mais jusqu'aux décrets d'Eugène Poubelle (1831-1907), la prise en charge individuelle du problème des déchets n'aura avancé qu'à force de réprimandes et de menaces.