Féerique et spectaculaire, le ballet Casse-Noisette fait souvent partie des présents que l'on offre aux enfants, histoire de les émerveiller, histoire de leur emplir le regard de cette magie époustouflante où décors et mouvements acrobatiques se déploient, entraînés par la musique passionnée du célèbre compositeur russe Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893).
Commandée par le maître de Ballet impérial de Russie, le chorégraphe marseillais Marius Petipa (1818-1910) et le directeur des Théâtres Impériaux de Russie Ivan Vsevolojski (1835-1909), la musique de Casse-Noisette est une œuvre majeure dans le répertoire tchaïkovskien et la puissance incontestable portant les envolées de ce ballet si particulier. Mais encore… Car Casse-Noisette est l'œuvre d'un nombre étonnant d'artistes !
L'histoire est tirée d'un conte d'E.T.A. Hoffmann (1776-1822) "Nußknacker und Mausekönig", terminé en 1816. Écrivain fantastique à qui l'on reproche souvent sa violation du monde réel, Hoffmann y met en scène, à sa manière mystérieuse, une famille bourgeoise le soir de Noël. Cette histoire sera plus tard adaptée par le fantasque Alexandre Dumas père (1802-1870) et ce sera cette version (datant de1844) que Petipa et Vsevolojski retiendront pour leur livret.
Le récit raconte l'éveil d'une jeune fille (Clara) à l'amour et à la sensualité alors que son Casse-Noisette, reçu comme présent de Noël, s'anime soudain pendant la nuit. Évidemment, depuis le constat d'une enfant au seuil de l'adolescence que l'on pousse à l'exploration de sentiments amoureux, plusieurs lectures du récit sont possibles et c'est à la chorégraphie de s'exprimer ensuite pour en livrer des messages diversement orientés. Car toutes les versions ne se ressemblent pas…
La première représentation du ballet doit toute sa beauté aux arrangements chorégraphiques de Lev Ivanovitch Ivanov (1834-1901) qui remplace à cette tâche Petipa, alors atteint de maladie. Le ballet, présenté en 1892 au Théâtre Mariinsky (Saint-Pétersbourg) en deux actes, trois tableaux et 15 scènes, connaît un certain succès. Déjà, 56 danseuses incarnent la célèbre "valse des flocons" et c'est grâce au mécénat des tsars que l'on offre un spectacle d'une telle magnificence.
Il faut ensuite attendre 75 ans pour que celui par qui le scandale arrive, Rudolf Noureev (1938-1993), présente une version très stylée et très acrobatique, montée une première fois en novembre 1967 pour le Ballet royal de Suède. Cette facture remporte tous les suffrages du spectaculaire. Comme pour tout ce que touche ou retouche Noureev le téméraire, sa vision du ballet Casse-Noisette est une relecture qui évoque l'univers freudien, se rapprochant davantage des intentions narratives d'Hoffmann.
Dans ce ballet chorégraphié pour repousser les limites des danseurs et leur permettre de livrer des performances physiques exceptionnelles, le parrain Drosselmayer (qui offre le présent) et le Casse-Noisette (le prince) sont interprétés par le même danseur, audace admirable qui révèle le fantasme de l'homme mûr pour la jeune femme en devenir. Autre trouvaille symbolique de la mise en scène : Clara jette ses poupées contre les rats griffus et féroces qui attaquent son prince.
C'est toute l'enfance de Clara qui est ainsi repoussée à travers ce geste et qui traduit son désir impérieux de franchir les frontières du monde adulte. Sensuel, presque érotique, le Casse-Noisette de Noureev cause plus d'un émoi aux spectateurs, choquant les puristes, émerveillant les autres…